"Au-delà du contexte politique, c’est donc l’image d’une nouvelle unité qui a été donnée hier. Bien plus qu’une alliance entre deux leaders, c’est une rencontre de deux bases qui veulent participer à leur manière à l’édification d’un nouveau Liban. Un Liban en couleurs, puisque l’un des slogans favoris des manifestants était : « Jaune, vert et orange, un million de Libanais défilent. » Il manque toutefois d’autres couleurs pour que l’arc-en-ciel soit complet".
Voilà ce qu'écrivait Scarlett Haddad dans l'Orient le Jour (pro-gouvernemental) de ce matin.
Et comme Scarlett, j'espère que trés vite, tous les libanais se reconnaîtront dans ce merveilleux pays, dont le nouveau pacte de cohabitation pour les générations futures est à inventer.
Mais sans vouloir entrer dans le jeu des chiffres et des proportions qui sont, au Liban, des données très peu scientifiques, on a pu voir, dans certains secteurs, une véritable mer orange, pas dans les fanions, puisque seul le drapeau libanais était autorisé, mais dans les foulards, les parapluies, les bracelets et autres accessoires.
Ceux qui sont descendus à la manifestation de l’opposition hier au centre-ville reviennent donc les yeux et la tête remplis d’images impensables il y a un an.
Il y avait ainsi les jeunes filles délurées, nombril à l’air, aux côtés des silhouettes noires des femmes en tchador. Il y avait aussi des jeunes gens, les cheveux teints en orange et dressés par une tonne de gel, aux côtés d’autres en tenue stricte et d’autres encore, les oreilles scintillantes de boucles, aidant de vieilles dames la tête couverte de foulard à avancer dans la foule.
À la place Riad el-Solh, comme à la place de la Liberté et dans les rues avoisinantes, le spectacle était partout. C’était tantôt un militant du Hezbollah qui avait accroché des sachets de thé tout autour de son bandeau, dans une allusion claire à la scène de l’offrande du thé aux soldats israéliens à la caserne de Marjeyoun pendant la dernière guerre contre Israël, et tantôt un vieux monsieur fatigué tenant une pancarte sur laquelle est inscrit : « Je suis chrétien et je participe à la manifestation pour ne pas creuser la tombe du Liban. »
Dans la foule qui bougeait sans cesse à travers les deux places, pour essayer de capter le maximum d’images, il y avait des femmes portant des bébés étonnamment calmes, des vieilles dames déchaussées à la recherche d’un peu de gazon pour se reposer, des militants jouant de la derbaké, des partisans les yeux incrédules devant toutes ces filles cheveux au vent et décolletés pigeonnants, d’autres entièrement concentrés sur leur mission et beaucoup, beaucoup de gens enthousiastes qui attendaient ce moment depuis des semaines. Un mouvement dans la foule et c’est un jeune portant un « masque de Walid Joumblatt », mais un Joumblatt vieux et sur des béquilles, qui déambulait, dans une célébration de la Sainte-Barbe avant l’heure...
Tout ce monde évoluait avec la plus grande discipline, chacun respectant les particularités de l’autre, dans une atmosphère amicale et joyeuse.
Pour ceux qui ont vécu la journée historique du 14 mars 2005, ces détails peuvent avoir un air de déjà-vu. Pourtant, c’est la première fois que les partisans du Hezbollah côtoient ceux du CPL dans la rue. Il y avait bien eu la manifestation du 8 mars 2005, mais le CPL n’y avait pas participé tout comme il n’avait pas participé au « rassemblement de la victoire » en septembre dernier, alors que le Hezbollah n’avait pas participé à la journée pluvieuse du 15 octobre organisée par le CPL.
La manifestation d’hier – ainsi que le sit-in qui se poursuit– est donc la première rencontre du genre, mais elle est aussi le couronnement d’un processus qui a commencé le 6 février 2006, lors de la signature du document d’entente entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah. À l’époque, le document avait été considéré comme une sorte de couverture à une convergence d’intérêts temporaire entre le chef du CPL et le secrétaire général du Hezbollah, une sorte de riposte politique à la manifestation contre les caricatures jugées insultantes pour le Prophète à Achrafieh, qui s’était déroulée la veille et avait provoqué des incidents dans certains quartiers de la capitale.
Mais au fil des mois, ce document d’entente a jeté les fondements d’une alliance stable entre les deux formations. Même si les deux parties s’en défendent, il y a désormais entre elles bien plus qu’un projet d’accord ou une rencontre d’intérêts. Si, pendant les séances de la conférence de dialogue national, les différents protagonistes ont perçu entre le général et le sayyed une certaine connivence, celle-ci s’est désormais étendue à la rue. La première preuve concrète de la consolidation de cette alliance est venue pendant la guerre contre Israël en juillet dernier, lorsque les militants du CPL ont ouvert les portes des régions sous leur influence aux déplacés chiites de la banlieue sud de Beyrouth et des villages dévastés au Sud et dans la Békaa. Pendant cette terrible guerre, il y a donc eu un véritable contact entre les deux bases populaires et c’est tout naturellement qu’elles sont toutes les deux descendues dans la rue hier, en toute harmonie malgré leurs différences. Les comités de coordination des deux parties se réunissaient en fait depuis plusieurs semaines pour mettre au point le déroulement de la manifestation prévue. Chaque détail a été évoqué, depuis les drapeaux brandis, aux banderoles portées par les jeunes, jusqu’aux slogans scandés par la foule. Rien n’a été laissé au hasard et les deux parties ont fait preuve d’une grande discipline, respectant à la lettre le programme établi. L’organisation du sit-in a aussi été soigneusement préparée : chaque partie a un secteur pour y dresser ses tentes et prendre en charge l’un des accès au Sérail et des permanences sont prévues pour qu’il y ait toujours des chrétiens et des musulmans ensemble, unis dans la même revendication.
Au-delà du contexte politique, c’est donc l’image d’une nouvelle unité qui a été donnée hier. Bien plus qu’une alliance entre deux leaders, c’est une rencontre de deux bases qui veulent participer à leur manière à l’édification d’un nouveau Liban. Un Liban en couleurs, puisque l’un des slogans favoris des manifestants était : « Jaune, vert et orange, un million de Libanais défilent. » Il manque toutefois d’autres couleurs pour que l’arc-en-ciel soit complet.
Scarlett HADDAD
Article intéressant et plein d'espoir.
Espérant que ce pays tant meurtri saura retrouver le chemin de son unité.
Après la pluie le beau temps.
Rédigé par : Libellule | 02.12.2006 à 19:19
Un dicton libanais dit : "minn timmik la béb el samaa"
Ce qui veut dire de ta bouche jusqu'à la porte du ciel.
Merci Libellule.
Rédigé par : Araadon | 02.12.2006 à 19:58
J'aime bien ce dicton que je découvre ici
Rédigé par : Element | 02.12.2006 à 20:47
Il faut espérer car les médias en France ont un tel partie pris.
dommage
Rédigé par : Bhappy | 02.12.2006 à 22:09
les médias internationaux sont le reflet d'une position donnée ... mais deja al jazeera critique la couverture de la futur concernant la manif d hier (du jamais vu quand mme...)
Rédigé par : frenchy | 02.12.2006 à 22:30
Merci Libellule, Elément et Bhappy, l'espoir fait vivre, même si les moments sont dures.
A Frenchy, en effet les médias sont formatés, jusqu'à un certain point. Ils savent jusqu'ou la manipulation pourrait marcher. Ils savent aussi ne pas se rendre ridicule, à moins que certains n'ont cure de leur audience.
Rédigé par : Araadon | 03.12.2006 à 00:03
ca dépend de leur audience, parfois leur audience est déjà elle même formatée par un discours extrémiste
Rédigé par : frenchy | 03.12.2006 à 19:53