Le prix Nobel de la paix a été conjointement attribué vendredi au Bangladais Mohammed Yunus et à sa banque spécialisée dans le micro-crédit, la Grameen Bank."Une paix durable ne peut pas être obtenue sans qu'une partie importante de la population trouve les moyens de sortir de la pauvreté", a déclaré Ole Danbolt Mjoes, le président du comité Nobel, en expliquant le choix fait parmi les 191 candidats en lice. "Le micro-crédit est un de ces moyens", a-t-il ajouté. Il succède à l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) et à son directeur général Mohammed ElBaradei.
Pour ceux que le sujet intéresse vous avez dans la suite un portrait du Prix Nobel de la Paix paru dans le monde il y a plus de deux ans et demi.
Il a mis près de trente-cinq années à trouver sa voie. Depuis, Mohammed Yunus ne cesse de courir après le temps. Derrière une apparence calme et posée, ce sexagénaire aux cheveux grisonnants est plus que jamais habité par une cause : l'éradication de la pauvreté.
La Grameen Bank, la " banque des pauvres ", qu'il a créée au Bangladesh en 1983, emploie désormais 12 000 personnes et possède 1 200 bureaux. Du haut de sa tour de 30 étages, couleur brique, à Dacca, la capitale, cette institution financière est désormais citée en modèle dans le monde entier pour son système de " microcrédit ", le prêt de petites sommes d'argent à des déshérités auparavant exclus du système bancaire. A ce jour, la Grameen Bank a prêté de l'argent à plus de 3 millions de Bangladais (à 95 % des femmes) et affiche des taux de remboursement (99 % des prêts sont honorés) à faire pâlir d'envie les banques traditionnelles occidentales.
L'homme est déjà plus loin : sa fondation, domiciliée à New York, centralise, depuis près de dix ans, des donations qui ont permis, à ce jour, de dupliquer le modèle dans près de 60 pays. " En Chine, en Inde, aux Philippines, au Vietnam , énumère-t-il. A la fin de l'année 2004, plus de 60 millions de personnes pauvres auront eu accès à un microcrédit dans le monde. "
Mardi 10 février, le dirigeant pressé était à Bruxelles, pour un colloque sur le développement durable. La veille, il était à Paris, invité par Jacques Attali, qui l'a nommé en 1998 coprésident d'honneur de Planetfinance, une organisation de solidarité internationale qui fait la promotion du microcrédit. Il y a rencontré des décideurs politiques et économiques, comme il l'avait fait, il y a vingt ans, aux Etats-Unis, à l'invitation de Bill Clinton, alors gouverneur de l'Arkansas, qui voulait développer ce système dans son fief. Des contacts très diplomatiques qu'il assume pragmatiquement avec l'aisance de celui qui navigue entre deux mondes.
Car cet économiste a connu plusieurs vies. Sorti de l'université de Dacca, un diplôme d'économie en poche, ce fils de bijoutier a d'abord eu des ambitions classiques. " J'ai créé une entreprise pour mes parents avant de partir, à 25 ans, aux Etats-Unis pour passer un diplôme de troisième cycle ", se souvient-il. Là-bas, il y épouse une jeune Américaine, s'installe et enseigne l'économie.
Est-ce cette ligne de vie trop tracée qui a soudain motivé un retour aux sources ? Le trentenaire décide de rentrer, en 1974, dans un pays tout juste indépendant, mais déjà ravagé par la famine. Professeur à l'université de Dacca, gagnant 50 fois moins qu'aux Etats-Unis, il mesure quotidiennement le décalage entre les théories économiques qu'il enseigne et le désastre de la pauvreté. Puisque certains sont exclus du système bancaire traditionnel et doivent utiliser des usuriers fort onéreux, M. Yunus commence, en 1976, à se porter personnellement garant. Il imagine ensuite de créer des groupes de villageois collectivement responsables pour garantir de réels prêts bancaires. " Au début, personne n'y croyait. Nous avons tenté l'expérience sur un village, puis cinq, puis dix ", se rappelle-t-il. Sept années après le début de cette aventure naissait la Grameen Bank. Un engagement progressif et intensif auquel son mariage américain ne résistera pas.
" LE SUJET DU FUTUR "
A 63 ans passés, l'homme ne cesse d'innover : il a créé une société de téléphone qui permet à 43 000 femmes, détentrices d'un appareil, de proposer l'accès aux communications dans les villages du Bangladesh. Il s'est lancé dans les prêts aux étudiants et, dernière nouveauté, dans ceux destinés aux plus pauvres des pauvres, les mendiants.
" Le monde occidental a une définition très étroite du capitalisme, explique-t-il. Dans le système actuel, il faut être très avide pour être bien positionné. " Pour autant, cet économiste croit au système actuel et reste prudent face au mouvement altermondialiste. " Il ne s'agit pas d'être contre, mais de proposer des solutions. Je ne suis pas contre la mondialisation. Je crois en la liberté de marché. Celui-ci n'est pas sale. Je suis persuadé qu'il peut favoriser l'émergence d'une génération d'entrepreneurs sociaux, plus intéressés par le bien-être collectif que par un jeu très personnel."
L'homme rêve d'une nouvelle génération de dirigeants altruistes et veut convaincre les universités de la former. " Harvard et Oxford proposent déjà des sessions dans ce sens ", souligne-t-il avec satisfaction. M. Yunus veut accélérer cette mutation. " C'est le sujet du futur ", lance-t-il, déjà en train de partir.
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