Vingt-six jours ont passé depuis l’arrêt des hostilités, et sans cesse nous taraude cette petite phrase du chef d’état-major de l’armée israélienne : « Nous allons renvoyer le Liban vingt ans en arrière. » J’ignore s’il existe des guerres nobles, de « justes guerres », mais l’objectif avoué de celle-ci était particulièrement vulgaire. Il faut de grandes causes pour galvaniser les troupes. Israël a manqué de cause. Cette agression sauvage, issue d’un mental mesquin pour ne pas dire jaloux avec son projet dé-civilisateur, ne pouvait, d’une manière ou d’une autre, que courir à l’échec. Échec ou pas, laissons à Israël le soin de tirer ses conclusions et de se débattre dans ses contradictions. Le temps est venu pour nous de tenter à nouveau de vivre.
Tenter, parce que aucune autre guerre, et nous en avons vécu, n’a réussi comme celle-ci à nous porter sur le moral. À chaque fois, nous avons pensé que ce serait la dernière. Que le Liban s’en sortirait. Et à chaque fois, nous avons retroussé nos manches .....
... devenant l’image même de la résilience jusqu’à la caricature. La gratuité de la guerre de juillet nous aura laissés en état de choc. Ainsi, notre terre serait une arène où viendraient impunément en découdre tous ceux que cela démange. Cela finira-t-il jamais ?
Vivre. Réveiller un à un nos sens, nos yeux qui n’en pouvaient mais de voir, nos oreilles qui ne voulaient plus entendre, nos papilles qui n’avaient plus goût à rien, notre peau qui poissait la cendre, la poussière et le sang, et nos poumons écœurés par l’odeur de cadavre. Regarder scintiller les barques des pêcheurs revenus, sur l’indigo de la nuit, comme une pluie de lucioles. Interroger l’horizon sans inquiétude. Rattraper les derniers feux de cet été que nous n’avons pas vu passer. Vers le soir, quand la mer affolée de soleil aura fini d’exhaler ses vapeurs, les brumes viendront, dans leur longue descente, se déchirer sur les sommets rosis par le couchant. Des îles inconnues surgiront alors de la montagne. Nous serons au spectacle, le cœur suspendu à cette paix céleste, flottant au milieu des nuages épuisés. Cette nuit, nous serons, c’est promis, attentifs au lever de la lune. Pour nous seuls, elle s’annoncera en cascades blanches, et puis elle viendra comme une épouse poser sa joue sur la colline. L’air sentira le foin mouillé et le jasmin, la terre attendrie, les mûres écrasées, le parfum vigoureux des noix vertes, la sève qui perle sur l’écorce du pin, le feu de branches sèches et les mains qui se frottent autour du brasero. Et tout à coup, nous serons à nouveau chez nous, et le meilleur de la vie nous semblera à nouveau possible. « Ailleurs le monde vit, ailleurs, mais nous, nous vivons là mon cœur. » (Barbara)
Fifi ABOU DIB
L'orient le Jour - 09 septembre 2006
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